Les économistes dans l'action politique

[Bensasson Bruno]

Question du chat pendant la conférence, de Nohan, étudiant à Reims : Comment les économistes peuvent-ils aider les politiques à décider ?

C’est aux politiques de prendre les décisions proprement politiques, qui relèvent de choix de société. Les économistes n’ont pas grand-chose à dire de ces choix en tant qu’économistes quoi qu’ils en pensent en tant que citoyens. C’est éventuellement le domaine des philosophes ou des sociologues.

En revanche, les économistes peuvent aider les politiques à prendre des décisions de nature strictement économiques, conçues non pas comme des finalités politiques (j’entends par là des enjeux tels que l’effort de défense nationale, la liberté d’entreprendre, la réduction des inégalités, la préservation de l'environnement au bénéfice des générations suivantes ou en soi) mais comme des outils destinés à atteindre des fins.

[Bensasson Bruno]

Question du chat pendant la conférence, de Léo, étudiant à Clamart : Comment mieux intégrer dans les indicateurs les effets de la croissance économique comme la dégradation de l’environnement ?

On reviendra sur les indicateurs dès le chapitre 4 sur les finalités de l’action économique (titre 2, conférence de novembre) et au chapitre 27 sur la richesse (titre 9, conférence de juin).

On verra que la croissance du produit intérieur brut, du PIB, est un indicateur intéressant mais imparfait. Du reste tout indicateur a ses limites et il ne faut pas croire ni même espérer qu’on pourrait réduire la complexité de la vie économique à un seul indicateur qu’il suffirait de maximiser. Ce serait trop simple ou trop triste.

Parmi les défauts du PIB, il y en a un très clair c’est qu’il est brut, qu’il ne tient pas compte des destructions de capital, pas même de capital matériel, pourtant présentes dans le résultat net issu de la comptabilité des entreprises, à la rubrique "amortissements". Son cousin, le produit intérieur net, le PIN, ne souffre pas du même défaut. Pour obtenir le PIN, on retranche du PIB les destructions de capital. De quel capital ? c’est une question qu’il faut poser aux comptables nationaux, discipline en soi. Du capital matériel au moins, pour sûr.

Mais en bas du Tableau économique d’ensemble (TEE) de l’économie française produit annuellement par l’INSEE, dans la partie patrimoine de la Nation, vous trouvez aussi un capital naturel, qui est important. Je ne sais pas comment ce capital est précisément évalué, ni comment il peut évoluer avec les processus biologiques naturels, les dégradations et les réparations. Mais, en théorie, les dégradations du capital naturel auraient de bonnes raisons de se trouver dans le PIN.

Je serais néanmoins étonné qu’il intègre déjà le climat, qui est un patrimoine naturel mondial et non national. Si on voulait intégrer la dégradation du climat il faudrait valoriser et retrancher les émissions de gaz à effet de serre. Il y a déjà un prix pour ces émissions de CO2 et même plusieurs prix ce qui pose question. A nouveau, intégrer ces émissions au PIN est théoriquement possible mais je ne sais pas si c’est la pratique. C'est une bonne question... pour l'INSEE.

[Bensasson Bruno]

Question du chat pendant la conférence, de Lucie, professeur de mathématiques, Boulogne sur mer : Peut-on quand même faire de l’économie « si on n’est pas bon en maths » ?

Bien sûr et heureusement on peut comprendre l'économie sans s'y connaître en mathématiques. De même qu’on doit pouvoir être un très bon chanteur sans connaître le solfège ; même si le solfège doit aider j’imagine. Je dis cela alors que je connais le solfège tout en étant un chanteur épouvantable.

Je crois qu’on peut comprendre l’économie sans rien connaître en mathématiques. En tous cas, c’est l’hypothèse que je fais dans mon livre "L'économie n'est pas qu'une affaire d'argent" : on peut le lire sans aucun prérequis ni en économie ni en mathématiques. Il y a bien quelques formules mathématiques dans le texte ou en notes de bas de page mais elles sont totalement facultatives : on peut les ignorer tranquillement sans rien perdre d'essentiel.

Cependant, si on n'est pas juste lecteur mais chercheur en économie, je pense que les mathématiques aident à comprendre et a fortiori à explorer le sujet et qu’en sens inverse, sans mathématiques, c’est plus compliqué et peut-être moins confortable.

Parmi les erreurs communes qu’on peut faire sans mathématiques, on trouve des raisonnements qui supposent que « toutes choses sont égales par ailleurs » alors que les choses ne sont jamais égales par ailleurs et que les effets de bouclage des marchés sont souvent décisifs, qui ne peuvent être perçus qu’en considérant un équilibre général et non pas un marché, un secteur ou un individu isolément. Si l’Etat vous donne 100 euros, vous êtes vraiment plus riche, mais s’il donne 100 euros à tout le monde, le pays, qui n’a rien changé à sa production, est-il vraiment plus riche ?

Une autre façon commune de se tromper et de se perdre est d’essayer de suivre les flux monétaires : si l’entreprise me donne un salaire que je lui rends pour acheter la marchandise que j’ai produite, on a l’air d’être monétairement rendu au point de départ ; pourtant économiquement, tout a changé : il y a eu de la production et de la consommation de biens. Un prêt et un don ont la même allure monétaire et pourtant ils sont économiquement très différents.

Mais il y a des approches politiques ou historiques de l’économie qui sont très intéressantes sans être du tout mathématiques. Je pense qu’elles sont complémentaires.

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